CommunicationJean-Léon BeauvoisManipulation mentaleRobert Cialdini

Le coup sous la ceinture : tromperie subtile (1).

Plongez au cœur d’une technique de manipulation subtile : le “coup sous la ceinture”. Cet article révèle comment des promesses alléchantes peuvent masquer des intentions cachées, menant à des décisions que nous n’aurions jamais prises autrement. Découvrez le rôle crucial de la cohérence dans nos décisions et comment notre désir d’être cohérents peut nous rendre vulnérables à la manipulation. Une lecture essentielle pour déjouer les pièges tendus par ceux qui maîtrisent l’art de la persuasion.

Cette technique porte le nom de “coup sous la ceinture” (low ball en anglais). On parle de “coup sous la ceinture “, car celui qui utilise cette technique cache ses véritables intentions (on parle également de “technique du leurre“). On porte un coup en dessous de la ceinture. La version anglaise est moins polie, elle parle plutôt de “coup dans les bijoux de famille“. Comme je suis bien élevé et bon catholique, j’ai adopté une traduction plus consensuelle. Il faut bien nommer les choses pour être plus efficace dans la lutte contre le diable et ses méthodes.

Dans “le-pied-dans-la-porte” et dans “la-porte-dans-le-nez“, il s’agissait de technique d’influence pour amener une personne à prendre une décision qu’elle n’aurait pas prise initialement. On force la main en agissant sur des réflexes conditionnés. Réflexes de réciprocités ou de comparaison. Avec “le-coup-sous-la-ceinture“, nous pénétrons dans un autre univers, une dimension très différente. Il s’agit de réellement tromper la personne sur ce que l’on veut. On fait miroiter des avantages pour obtenir son accord, avantages qui par la suite disparaîtront ou se réduiront. Certains psychologues parlent de “technique du leurre“. En effet, celui qui a recours au “coup-sous-la-ceinture” mens délibérément sur ses véritables intentions. Il a recours à un leurre pour attirer le chaland pour le prendre dans ses filets et le pousser à agir dans son sens.

Nous avons donc deux propositions qui vont amener la personne victime de la manipulation mentale à prendre deux décisions successives :

  • 1er proposition : proposition initiale (leurre).
  • 2e proposition : proposition amoindris.

Nous le voyons, la personne victime du coup sous la ceinture est amenée à prendre deux décisions :

  • 1er décision : avant le leurre.
  • 2e décision : après le leurre.

C’est parce que la première décision a été acceptée, que la deuxième sera aussi acceptée. C’est le passage de l’une à l’autre qui constitue la technique de manipulation mentale. Il est important de bien comprendre le mécanisme qui permet de passer de l’une à l’autre. C’est celui de la cohérence dont parle Robert Cialdini dans son livre “Influence et manipulation“.

La principale raison de ce basculement est généralement liée à un autre principe fondamental de l’influence sociale. A l’instar des autres principes, celui-ci se loge au plus profond de nous et guide nos actions avec une force tranquille : nous voulons être (et paraître) cohérents avec ce que nous avons dit ou fait. Une fois que nous avons fait un choix ou pris position, nous sommes soumis à des pressions personnelles et interpersonnelles qui nous poussent à mettre nos pensées et nos actes en cohérence avec cet engagement. Ces pressions nous poussent également à justifier notre décision par nos réactions.” (Robert Cialdini, Influence et manipulation, first éditions, 2021, p. 354).

Il précise plus loin :

Pour comprendre pourquoi la cohérence est un moteur si puissant, nous devons savoir que, dans la plupart des cas, elle est appréciée et attendue Le manque de cohérence est généralement vu comme un trait de personnalité peu recommandable. La personne dont les croyances, les paroles et les actes manquent de cohérence est jugée ambiguë, hypocrite, voire perturbée. A contrario, une grande cohérence est assimilée à une force personnelle et intellectuelle. Elle est synonyme de logique, de rationalité, de stabilité et d’honnêteté.” (Robert Cialdini, Influence et manipulation, first éditions, 2021, p. 355).

Le “coup-sous-la-ceinture” dispose de deux variantes :

  • La première fait disparaître la proposition initiale pour lui substituer une proposition moins alléchante, c’est le “coup-sous-la-ceinture” avec refus initial. Le refus concerne la disparition de la première proposition Nous en parleront dans cet article.
  • La deuxième cache les inconvénients de la proposition initiale qui seront ensuite dévoilés lorsque la personne aura accepté la proposition. C’est un mensonge par omission. On parle de coup-sous-la-ceinture” avec acceptation initial. Nous en parleront dans l’article suivant.

La première variante concerne “le-coup-sous-la-ceinture” avec refus initial. Le refus ne concerne pas celui qui subit la manipulation mentale, mais le manipulateur. C’est un refus stratégique qui va amener la personne manipulée à accepter une nouvelle offre moins favorable. Le passage de la première acceptation à la deuxième jouant sur le principe de cohérence. Elle fut théorisée pour la première fois par une expérience JouleGuilloux et Weber de 1989 (I), mais dans la pratique utilisé bien avant dans le commerce (II) et dans presque toutes les campagnes électorales par le cimetière des promesses électorale non-tenu (III).

I : L’expérience de Joule, Guilloux et Weber (1989).

Robert-Vincent Joule est un auteur bien connu de ceux qui s’intéresse à la manipulation mentale, puisqu’il a écrit avec Jean-Léon Beauvois deux livres célèbres sur la manipulation mentale : “Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens” (1987) et “La soumission librement consentie” (1998). Deux livres passionnants qu’il faut absolument lire afin de comprendre l’escroquerie de la prétendue liberté dans nos démocraties qui n’existe que sur le papier.

Joule et Beauvois, la soumission librement consentie.

A. Le déroulement de l’expérience.

Les psychologues souhaitaient faire participer des sujets à une expérience sans les rémunérer.

Ils vont mettre en place deux conditions : une condition contrôle et une condition avec leurre.

La condition contrôle indiquait aux personnes qu’ils allaient participer à une expérience sur la mémoire de trente minutes. Ils devaient regarder des diapositives sur lesquelles étaient inscrits des nombres. En même temps, ils entendaient un enregistrement qui récitait d’autres nombres. Les personnes devaient se rappeler à la fois les nombres vus sur les diapos et les nombres entendus sur l’enregistrement. Cela mettait en jeu deux formes de mémoires : la mémoire visuelle et la mémoire orale. L’expérience n’était pas rémunérée.

La condition avec leurre se déroulait en deux étapes :

  • 1ere étape : on expliquait aux personnes qu’ils allaient participer à une expérience de vingt-cinq minutes sur les émotions, puis répondre durant cinq minutes à des questions. L’expérience devait être rémunérée trente francs.
  • 2e étape : une fois présent au laboratoire (le lendemain), on expliquait au sujet que l’expérience rémunérée était terminé et que l’on n’avait pas eu le temps de le prévenir. Afin que les gens ne se soient pas déplacé pour rien, on leur proposait alors une autre expérience, mais non-rémunérée, identique à celle en situation contrôle.

En situation contrôle on obtient 15, 4 % d’acceptation, contre 47, 4 % en situation de leurre. En situation de leurre, on obtient 100 % d’obéissance.

B. Le fonctionnement du “coup-sous-la-ceinture” avec refus initial.

Comme nous l’avons vu, il y a deux propositions :

  • 1ere proposition : proposition initiale (leurre).
  • 2e proposition : proposition amoindris.

La première proposition disparaît dès le début de la manipulation. La personne accepte cette proposition. Une fois acceptée, la proposition n’est plus disponible. On va invoquer un motif pour justifier de sa disparition (par exemple, le dernier exemplaire a été vendu, problème technique, le modèle n’est plus en vente, le délai est dépassé, etc.). La première proposition est en réalité un appas, un leurre.

On va faire une autre proposition, mais moins intéressante. Cette deuxième proposition est en réalité celle que l’on voulait proposer dès le début.

Nous retrouvons quatre étapes :

  • 1er étape : on fait une proposition initiale avec certains avantages.
  • 2e étape : la personne accepte la proposition.
  • 3e étape : la première proposition est retiré pour un ou plusieurs motifs.
  • 4e étape : deuxième proposition moins intéressante.
  • 5e étape : la personne accepte la deuxième proposition.

Nous le voyons, la personne victime du coup sous la ceinture est amenée à prendre deux décisions :

  • 1ere décision : avant le leurre.
  • 2e décision : après le leurre.

C’est parce que la première décision a été accepté et rendu impossible, que la deuxième devient possible et est accepté. C’est le passage de l’une à l’autre qui constitue la technique de manipulation mentale. Il est important de bien comprendre le mécanisme qui permet de passer de l’une à l’autre.

II : La technique du “coup-sous-la-ceinture” dans le commerce.

Robert Cialdini, qui pour écrire son livre “Influence et manipulation” se fit embaucher de nombreuses fois comme vendeurs, relate des expériences professionnelles identiques. Expérience toujours très drôle et enrichissante. Je ne manque jamais de les citer à titre d’illustration pour mes articles. Évoquons la technique élaborée par les vendeurs de jouets (A) ou celle des vendeurs de voitures (B).

A. La technique de vente des vendeurs de jouet.

Robert Cialdini explique, en particulier, comment les vendeurs de jouets s’y prennent pour réaliser des ventes après Noël, en janvier-février, une période creuse pour le commerce du jouet.

Je sais simplement comment plusieurs grands fabricants de jouets s’y prennent pour booster leurs ventes en janvier et février. Ils commencent avant Noël par passer des publicités télévisées attrayantes pour certains jouets spéciaux. Naturellement, les enfants veulent ce qu’ils voient et soutirent à leurs parents des promesses pour Noël. Puis, et c’est là que l’idée est géniale, ils limitent les stocks des jouets que les parents ont promis à leurs enfants. La plupart des parents ne trouvent pas ces jouets et sont obligés de les remplacer par d’autres cadeaux de valeur égale. Les fabricants de jouets, bien sûr, se font un devoir de fournir aux magasins une grande quantité de substituts. Puis, après Noël, les fabricants recommencent à faire de la publicité pour les jouets qui étaient épuisés. Et les enfants les veulent plus que jamais. Il courent voir leurs parents en suppliant : “Tu m’avais promis, tu m’avais promis”, et les adultes filent au magasin pour remplir leurs promesses.” (Robert Cialdini, Influence et manipulation, first éditions, 2021, p. 362).

Le processus est exactement celui du “coup-sous-la-ceinture“.

On créer une offre que l’on retire au dernier moment créant une frustration chez le consommateur.

Cette frustration provoque deux phénomènes :

  • Obligation d’acheter un jouet à Noël : par dépit et devant la déception de leurs enfants, les parents achètent un autre jouet.
  • Report de l’achat du jouet désiré par l’enfant : l’achat du jouet que l’enfant veut obtenir est différé ; le jouet redevient disponible en janvier-février ; les parents sont obligés d’acheter le jouet devant la pression de l’enfant.

C’est pour cette raison, que parfois, face à une demande importante, nous avons des pénuries. Les pénuries sont organisées volontairement pour provoquer un report de l’achat à une date ultérieure. C’est une stratégie commerciale.

B. La technique de vente des vendeurs de voiture.

Robert Cialdini donne un autre exemple, celui des vendeurs de voitures.

Pour un professionnel de la persuasion peu scrupuleux, l’avantage est considérable. Comme nous construisons de nouveaux appuis pour étayer le choix dans lequel nous nous sommes engagés, un individu sans scrupule peut très bien nous fournir un motif de faire un choix, puis faire disparaître ce motif une fois la décision prise, sachant que notre décision tiendra probablement toute seule en s’appuyant sur ces nouvelles raisons. Les concessionnaires automobiles utilisent cette technique, appelée “technique de l’amorçage”, que j’ai observé pour la première fois alors que je me faisais passer pour un stagiaire chez un concessionnaire Chevrolet. Après une semaine de formation à la vente, j’ai été autorisé à regarder les vendeurs travailler. Une pratique a tout de suite retenu mon attention. C’était la technique de l’amorçage.

Le principe est d’offrir à certains clients une remise très intéressante pouvant aller jusqu’à 700 euros par rapport à la concurrence. Cette bonne affaire n’en est pas une. Le concessionnaire n’a jamais eu l’intention de conclure la vente. Son seul objectif est d’amener les prospects à décider de lui acheter une voiture. Une fois la décision prise, plusieurs mesures viennent renforcer le sentiment d’engagement personnel du client à l’égard de cette voiture – on remplit plusieurs formulaires, on règle les modalités de financement, on propose au client de prendre la voiture pendant toute une journée avant de signer le contrat “pour vous habituer à la conduire et la montrer à vos voisins et à vos collègues”. Pendant ce temps, le concessionnaire sait parfaitement que le client trouve généralement toute une série de nouvelles raisons de faire ce choix et de justifier l’investissement qu’il vient de faire.

C’est là que se produit un incident. On découvre une “erreur” dans les calculs. Parfois, le vendeur a oublié d’ajouter le prix du GPS, et si l’acheteur le veut toujours, il doit rajouter 700 euros. Pour détourner les soupçons, certains concessionnaires laissent la banque chargée du financement découvrir l’erreur. Parfois, l’offre est rejetée au dernier moment par la direction au prétexte que “la concession perdrait de l’argent”. Mais le client peut toujours acheter la voiture pour seulement 700 euros de plus, ce qui ne pèse pas lourd dans une transaction de plusieurs milliers de dollars. D’autant que, comme le souligne le vendeur, c’est le prix pratiqué par la concurrence et “c’est le modèle que vous vouliez, n’est-ce pas ?” (Robert Cialdini, Influence et manipulation, first éditions, 2021, p. 407-408).

Nous retrouvons les étapes de la technique du “coup-sous-la-ceinture” :

  • 1ere étape : on attire le client avec une promotion sur une voiture.
  • 2e étape : on organise l’attachement du client à sa nouvelle voiture, en organisant le prêt du véhicule pour une journée.
  • 3e étape : l’offre est rejetée par le supérieur du vendeur. Plusieurs motifs peuvent intervenir : une erreur de calcul, oublie du GPS dans le prix, etc.
  • 4e étape : pour pouvoir acheter la voiture, le client devra débourser le prix fort (sans la promo).
  • 5e étape : le client accepte la deuxième proposition, afin de ne pas être venu au magasin pour rien.

III : La technique du “coup-sous-la-ceinture” en politique : les promesses électorales.

Nous rentrons dans le vaste champ des promesse électorale pour obtenir le suffrage du citoyen, qui une fois élu oublie sa promesse. Tous les citoyens qui ont été piégés par des hommes politiques ont tous simplement été victime de la technique du “coup sous la ceinture“.

Si le rôle du Général de Gaulle durant la deuxième Guerre mondiale est important, en particulier par son discours du 18 juin et la continuation du combat contre les nazis, son rôle durant la guerre d’Algérie semble être moins glorieux. C’est à cette occasion qu’il va mettre en œuvre la technique du “coup-sous-la-ceinture” en leurrant les Français qui vivaient en Algérie. Si j’avais vécu en 1940, j’aurais sans doute filé à Londres rejoindre le général pour continuer le combat. Mais je dois dire que le général de la guerre d’Algérie et de la dislocation de l’Empire colonial n’est pas très glorieux. Tout grand homme historique a une part de lumière et une part d’ombre. Il en est toujours ainsi. De là à entacher l’ensemble de la vie de l’homme du 18 juin, c’est un pas que je me refuse de franchir.

En mai 1958, se déroule des graves événements en Algérie qui vont ramener le général de Gaulle au pouvoir.

Le 8 janvier 1958, le gouvernement français organise un référendum sur l’autodétermination de l’Algérie, avec une large victoire du “oui” qui obtient 74, 99 % des voix. Le texte prévoit tout un processus pour permettre à l’Algérie de choisir son destin.

A la suite de cette première étape, la France est restée sans gouvernement, entre le 15 avril 1958 et le 13 mai 1958, a la suite de la démission du Gouvernement Felix Gaillard. On se dirige vers u va nommer à sa place Pierre Pflimlin, un partisan de la négociation avec le FLN, ce qui ne va pas cesser d’inquiéter les Français d’Algérie. Le jour même de son investiture à l’Assemblée nationale, les événements vont se précipiter en Algérie, afin de contrecarrer les projets indépendantistes. La foule va prendre d’assaut le siège du gouverneur-général à Alger et instaurer un Comité de salut public sous la direction du Général Massu.

La mise en oeuvre de la technique du leurre dans ses deux phases correspond au deux phases historiques des événements de Mai 1958.

  • 1ere phase : le général de Gaulle organise sa prise de pouvoir, en sous-entendant qu’il fera le nécessaire pour garder l’Algérie française (A).
  • 2e phase : une fois au pouvoir, il met en œuvre l’indépendance de l’Algérie, en dévoilant sa véritable intention (B).

A. La première phase : organisation du retour au pouvoir du général de Gaulle.

Le général va se servir de l’Algérie pour organiser son retour au pouvoir.

Dans un article de “l’écho d’Alger” du 10 mai 1958, un journaliste favorable à de Gaulle, va demander au général de prendre position en faveur de l’Algérie française.

Je vous en conjure, parlez, parlez vite, mon général…

Le 14 mai, le général Massu appel le Général de Gaulle à revenir au pouvoir pour empêcher la guerre civile et maintenir l’Algérie française.

Le 15 mai, le général de Gaulle se dit “prêt à assumer les pouvoirs de la République“.

Le 19 mai 1958, lors d’une conférence de presse à Paris, il sort la célèbre phrase, “Croit-on, qu’à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ?“, afin de rassurer ceux qui s’inquiète de la prise du pouvoir par un militaire.

Le 24 mai, afin de mettre la pression sur les autorités à Paris, un commando de parachutistes débarque en Corse pour prendre le contrôle de l’île de beauté, ce qui poussera le Général de Gaulle à réagir trois jours plus tard, en déclarant, “qu’il a entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays” et dit être “prêt à assumer les pouvoirs de la République“.

Le 28 mai 1958, Pierre Pflimlin démissionne et est remplacé par le Général de Gaulle, c’est-à-dire “au plus illustre des Français… Celui qui, aux heures les plus sombres de notre histoire, fut notre chef pour la reconquête de la liberté et qui, ayant réalisé autour de lui l’unanimité nationale, refusa la dictature pour établir la République“. Il recevra la majorité à l’Assemblée nationale le 1er juin 1958.

Nous le voyons, sa prise de pouvoir est une mise en scène organisé par le Général de Gaulle lui-même avec de puissant relais dans les médias et dans l’armée. Il s’est servi de la crise algérienne pour prendre le pouvoir, en laissant sous-entendre qu’il trouvera une solution pour l’Algérie française. Ce qu’il confirmera trois jours plus tard lors d’un discours resté célèbre prononcé à Alger :

Je vous ai compris !

Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité.

Je dis la rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions, et c’est pourquoi me voilà. Et je dis la fraternité parce que vous offrez ce spectacle magnifique d’hommes qui, d’un bout à l’autre, quelles que soient leurs communautés, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main.

Eh bien ! de tout cela, je prends acte au nom de la France et je déclare, qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière, des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Cela signifie qu’il faut ouvrir des voies qui, jusqu’à présent, étaient fermées devant beaucoup.

Cela signifie qu’il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas.

Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait.

Cela veut dire qu’il faut assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une.

L’armée, l’armée française, cohérente, ardente, disciplinée, sous les ordres de ses chefs, l’armée éprouvée en tant de circonstances et qui n’en a pas moins accompli ici une œuvre magnifique de compréhension et de pacification, l’armée française a été sur cette terre le ferment, le témoin, et elle est le garant, du mouvement qui s’y est développé.

Elle a su endiguer le torrent pour en capter l’énergie. Je lui rends hommage. Je lui exprime ma confiance. Je compte sur elle pour aujourd’hui et pour demain.

Français à part entière, dans un seul et même collège ! Nous allons le montrer, pas plus tard que dans trois mois, dans l’occasion solennelle où tous les Français, y compris les 10 millions de Français d’Algérie, auront à décider de leur propre destin.

Pour ces 10 millions de Français, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres.

Ils auront à désigner, à élire, je le répète, en un seul collège leurs représentants pour les pouvoirs publics, comme le feront tous les autres Français.

Avec ces représentants élus, nous verrons comment faire le reste.

Ah ! Puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration tous ceux de vos villes, de vos douars, de vos plaines, de vos djebels ! Puissent-ils même y participer ceux qui, par désespoir, ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu’il est courageux… car le courage ne manque pas sur la terre d’Algérie, qu’il est courageux mais qu’il n’en est pas moins cruel et fratricide !

Oui, moi, de Gaulle, à ceux-là, j’ouvre les portes de la réconciliation.

Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux, la France !

Vive la République !

Vive la France 

Le discours se déroula devant 500 000 personnes.

Lorsqu’on écoute le discours, on a l’impression que le Général apporte son soutien aux Français d’Algérie. D’ailleurs, trois jours plus tard, lors d’un discours à Mostaganem, il dira “vive l’Algérie française“.

Cependant, dans d’autres parties du discours, il semble s’adresser à la population musulmane de l’Algérie. Par exemple, lorsqu’il déclare vouloir mettre fin aux discriminations et invite tous les Algériens à choisir eux-mêmes leur propre destin. Ailleurs, il évoque le rôle des dix millions d’Algériens, ce qui inclus les Français d’Algérie et les musulmans algériens membres du FLN.

En psychologie de la manipulation mentale, on appelle cela un “sifflet à chien“.

Vous savez, le sifflet à ultra-son que le maître utilise pour appeler son chien. Seul le chien est capable d’entendre le son du sifflet, car il produit des ultra-sons. Les humains autour du chien n’entendent rien.

C’est pareil dans les discours politiques.

Les pieds-noirs ont entendu le “je vous ai compris“, pensant que le Général leur disait qu’il soutenait l’Algérie française, alors que les membres du FLN ont entendu que le général s’adressait aux dix millions d’Algériens (et donc à eux).

La technique du sifflet à chien est très utilisée en matière de propagande politique. Seul le chien entend le sifflet, de même que chaque public entend la partie du discours qui lui était adressée. Chacun trouve des arguments pour penser que le “je vous ai compris” s’adressait à lui et à lui seul.

Ce n’est pas très jolie qu’un grand homme comme le Général de Gaulle se soit livré à ce genre de manipulation bassement médiocre en trompant les gens qu’ils étaient censé défendre.

D’autant que de Gaulle savait depuis très longtemps qu’il allait donner l’indépendance à l’Algérie. Dire ce jour-là devant ces gens-là, “je vous ai compris” était une supercherie qui ne pourrait que causer de grave malentendu et entacher sa grandeur historique. C’est la part d’ombre du général.

Lors des débats devant le comité français de libération nationale, qui devait aboutir à l’ordonnance du 7 mars 1944, alors qu’André Philippe proposait d’aller jusqu’à l’autonomie de l’Algérie, il s’était entendu répondre par le Général, “Vous savez bien que tout cela finira par l’indépendance“.

En février 1955, il confia à Edmond Michelet, “L’Algérie sera émancipée. Ce sera long, vous aurez beaucoup à souffrir, quant à moi je ne parlerai que le jour où je serai en situation de faire ce que j’aurais dit“.

B. La deuxième phase : indépendance de l’Algérie.

Une fois les nouvelle institution républicaine mise en place et élu président de la République, le Général de Gaulle va organiser l’indépendance de l’Algérie et devoir faire avaler la pilule au peuple français. Il va s’y prendre en plusieurs étapes progressives, tant la tâche est immense et risqué. L’armée française est, à l’époque, très puissante et peut à tout moment renverser son régime. Le Général marche sur des œufs.

Il commence, le 13 juillet 1958, par évoquer discrètement que l’Algérie aura “une place de choix” dans la futur Communauté française qui allait être instaurée par la constitution de la Cinquième République. Cela sous-entend donc une indépendance de l’Algérie, en échange d’une intégration dans une sorte de “Commonwealth” à la Française.

Le 23 octobre 1958, se déroule une conférence de presse au lendemain de l’adoption de la Constitution de la Cinquième République. De Gaulle, propose une étonnante “paix des braves“.

Journaliste : Mon général, quelles est l’attitude de votre gouvernement à l’égard ce qui à l’air d’être des ouvertures de paix du FLN faites au cours de ces dernières semaines ?

Général de Gaulle : L’organisation dont vous parlez a, d’elle-même, déclenché la lutte. Elle la poursuit depuis quatre ans. Je laisse à l’avenir le soin de déterminer à quoi cette lutte aura pu servir. Mais en tout cas, actuellement, elle ne sert plus vraiment à rien. Bien sûr, on peut, si on veut, continuer des attentats, dresser des embuscades sur des routes, jeter des grenades dans des marchés, pénétrer, la nuit, dans des villages pour y tuer quelques malheureux. On peut se réfugier, chercher refuge dans des grottes de montagne. On peut aller en petit groupe de djebel en djebel. On peut cacher des armes dans des creux de rocher pour aller les chercher et les utiliser à l’occasion. Mais l’issue n’est pas là. Et elle n’est pas non plus dans les rêves politiques et dans l’éloquence de propagande des réfugiés qui se promènent à l’étranger. En vérité et en toute conscience, l’issue est, maintenant, tracée. Elle est tracée par le fait que les forces de l’ordre maîtrisent peu à peu le terrain. Mais surtout, elle est tracée par la manifestation décisive du 28 septembre. Et cependant, je dis sans embarras que pour la plupart d’entre eux, les hommes de l’insurrection ont combattu courageusement. Que vienne la paix des braves ! Et je suis sûr que les haines iront en s’effaçant. J’ai parlé de la paix des braves. Qu’est-ce à dire ? Tout simplement ceci. Que ceux qui ont ouvert le feu le cessent. Et qu’ils retournent sans humiliation à leur famille et à leur travail. On dit : ” Mais comment peuvent-ils faire pour arranger la fin des combats ? “. Je réponds, là où ils sont organisés pour la lutte, sur place, il ne tient qu’à leur chef de prendre contact avec le commandement. La vieille sagesse guerrière utilise, depuis très longtemps, quand on veut que se taisent les armes, utilisent le drapeau blanc des parlementaires. Et je réponds que dans ce cas, les combattants seraient reçus et traités honorablement. Quant à l’organisation extérieure dont nous parlions, tout à l’heure, et qui, du dehors, s’efforce de diriger la lutte, je répète tout haut ce que j’ai déjà fait savoir. Si des délégués étaient désignés pour venir régler avec l’autorité la fin des hostilités, ils n’auraient qu’à s’adresser à l’ambassade de France à Tunis ou à celle de Rabat. L’une ou l’autre assureront leur transport vers la métropole. Là, leur sécurité entière sera assurée, et je leur garantis la latitude de repartir. Cette paix, je le répète, puisse-t-elle venir au plus vite. Alors, certains disent : ” Mais quelles sont les conditions politiques dont le gouvernement français accepterait que l’on débatte ? “. Moi, je réponds le destin politique de l’Algérie, il est en Algérie-même. Ce n’est pas parce qu’on fait tirer des coups de fusil qu’on puisse en disposer. Quand la voie démocratique est ouverte, quand les citoyens ont la possibilité d’exprimer leur volonté, et bien, il n’y en a pas d’autre qui soit valable. Or cette voie est ouverte en Algérie. Le référendum a eu lieu, les élections vont avoir lieu, le mois prochain, les élections législatives. Au mois de mars, ça sera les élections aux conseils municipaux. Au mois d’avril, ça sera les élections pour les sénateurs. Quelle sera la suite ? Moi, je dis que cela est une affaire d’évolution. De toute manière, une immense transformation a commencé en Algérie. Bien sûr, la France, parce que c’est son devoir et parce qu’elle est seule à pouvoir le faire, la France met en oeuvre cette transformation. Au fur et à mesure du développement, les solutions politiques se dessineront. Moi, je crois, je l’ai déjà dit, que ces solutions futures auront pour base, parce que c’est la nature des choses, auront pour base la personnalité courageuse de l’Algérie et son association étroite avec la métropole française. Et cet ensemble complété par le Sahara, et bien, je crois qu’un jour ou l’autre, il se liera pour le progrès commun avec les libres Etats du Maroc et de Tunisie. Voyez-vous, à chaque jour suffit sa lourde peine. Mais quand je me demande qui gagnera, en définitive, je réponds, très convaincu : en définitive, ça sera la fraternelle civilisation. Je vous en prie.

Je suis frappé par une chose dans cette intervention. Le Président ne s’adresse qu’aux indépendantistes du FLN. Pas un seul mot pour les Français d’Algérie. Il ne demande qu’au FLN de cessez-le-feu.

Ceux qui ont ouvert le feu le cessent et qu’ils retournent, sans humiliation, à leur famille et à leur travail !

En effet, pour lui, les citoyens algériens doivent décider de leur destin commun d’une manière démocratique :

Le destin de l’Algérie est en Algérie même, quand la voie démocratique est ouverte, quand les citoyens ont la possibilité d’exprimer leur volonté, il y en a pas d’autre qui soit valable“.

Le FLN n’obéira pas au Général qui devra alors décider de manière plus autoritaire de forcer le destin de l’Algérie, en lui proposant un triple choix, lors d’un discours prononcé le 16 septembre 1959.

Notre redressement se poursuit. Certes, il ne faut pas nous vanter. Dans le domaine technique, par exemple, nous n’en sommes pas encore au point de lancer des fusées dans la lune. Cependant, depuis quinze mois, nos affaires ont avancé. L’unité nationale est ressoudée. La République dispose d’institutions solides et stables. L’équilibre des finances, des échanges, de la monnaie, est fortement établi. Par là même, la condition des Français et, d’abord, celle des travailleurs industriels et agricoles, échappe au drame de l’inflation et à celui de la récession. Sur la base ainsi fixée et à mesure de
l’expansion nouvelle, on peut bâtir le progrès social et organiser la coopération des diverses catégories dont l’économie dépend, poursuivre la tâche essentielle de formation de notre jeunesse, développer nos moyens de recherche scientifique et technique. D’autre part, la Communauté est fondée, entre la France, onze États d’Afrique et la République malgache.

Enfin, au milieu d’un monde où il s’agit tout à la fois de sauvegarder la liberté et de maintenir la paix, notre voix est écoutée. Pourtant, devant la France, un problème difficile et sanglant reste posé : celui de l’Algérie. Il nous faut le résoudre. Nous ne le ferons certainement pas en nous jetant les uns aux autres à la face les slogans stériles et simplistes de ceux-ci ou bien de ceux-là qu’obnubilent, en sens opposé, leurs intérêts, leurs passions, leurs chimères. Nous le ferons comme une grande nation et par la seule voie qui vaille, je veux dire par le libre choix que les Algériens euxmêmes voudront faire de leur avenir.

A vrai dire, beaucoup a été fait déjà pour préparer cette issue. Par la pacification, d’abord. Car rien ne peut être réglé tant qu’on tire et qu’on égorge. A cet égard, je ne dis pas que nous en soyons au terme. Mais je dis qu’il n’y a aucune comparaison entre ce qu’était, voici deux ou trois ans, la sécurité des personnes et des biens et ce qu’elle est aujourd’hui. Notre armée accomplit sa mission courageusement et habilement, en combattant l’adversaire et en entretenant avec la population des contacts larges et profonds qui n’avaient jamais été pris. Que nos soldats, en particulier les 120 000 qui sont musulmans, aient fléchi devant leur devoir, ou bien que la masse algérienne se soit tournée contre la France, alors, c’était le désastre ! Mais, comme il n’en a rien été, le succès de l’ordre public, pour n’être pas encore imminent, se trouve désormais bien en vue.

La deuxième condition du règlement est que tous les Algériens aient le moyen de s’exprimer par le suffrage vraiment universel. Jusqu’à l’année dernière, ils ne l’avaient jamais eu. Ils l’ont, à présent, grâce à l’égalité des droits, au Collège unique, au fait que les communautés les plus nombreuses, celles des Musulmans, sont assurées d’obtenir dans tous les scrutins la grande majorité des élus. Ç’a été là un changement de la plus vaste portée ; littéralement une révolution.

Le 28 septembre dernier, les Algériens ont, par référendum, adopté la Constitution et marqué leur intention que leur avenir se fasse avec la France. Le 30 novembre, ils ont élu leurs députés ; le 19 avril, leurs Conseils municipaux ; le 31 mai, leurs sénateurs. Sans doute ne manque-t-il pas de gens pour prétendre que, dans la situation on se trouvaient les électeurs, pressés par les forces de l’ordre et menacés par les insurgés, ces consultations n’ont pu être sincères que dans une mesure limitée. Cependant, elles ont eu lieu, dans les villes et dans les campagnes, avec une grande masse de votants. Et même, lors du référendum, le concours fut général, spontané et enthousiaste. En tout cas, la voie est ouverte. Dès que viendra l’apaisement, elle pourra être utilisée encore plus librement et encore plus largement. L’an prochain, aura lieu l’élection des Conseils généraux, d’où seront tirés, par la suite, certains grands Conseils administratifs, économiques et sociaux, qui délibéreront, auprès du Délégué général, du développement de l’Algérie.

Car, résoudre la question algérienne, ce n’est pas seulement rétablir l’ordre ou donner aux gens le droit de disposer d’eux-mêmes. C’est aussi, c’est surtout traiter un problème humain. Là végètent des populations qui, doublant tous les 35 ans, sur une terre en grande partie inculte et dépourvue de mines, d’usines, de sources puissantes d’énergie, sont, pour les trois quarts, plongées dans une misère qui est comme leur nature. Il s’agit que les Algériens aient de quoi vivre en travaillant, que leurs élites se dégagent et se forment, que leur sol et leur sous-sol produisent bien plus et bien mieux. Cela implique un vaste effort de mise en valeur économique et de développement social. Or, cet effort est en cours.

(…)

Grâce au progrès de la pacification, au progrès démocratique, au progrès social, on peut maintenant envisager le jour où les hommes et les femmes qui habitent l’Algérie seront en mesure de décider de leur destin, une fois pour toutes, librement, en connaissance de cause.
Compte tenu de toutes les données, algériennes, nationales et internationales, je considère comme nécessaire que ce recours à l’autodétermination soit, dès aujourd’hui, proclamé. Au nom de la France et de la République, en vertu du pouvoir que m’attribue la Constitution de consulter les citoyens, pourvu que Dieu me prête vie et que le peuple m’écoute, je m’engage à demander, d’une part aux Algériens, dans leurs douze départements, ce qu’ils veulent être en définitive et, d’autre part, à tous les Français d’entériner ce que sera ce choix.

(…)

Quant à la date du vote, je la fixerai le moment venu, au plus tard quatre années après le retour effectif de la paix ; c’est-à-dire, une
fois acquise une situation telle qu’embuscades et attentats n’auront pas coûté la vie à 200 personnes en un an. Le délai qui suivra étant destiné, à reprendre la vie normale, à vider les camps et les prisons, à laisser revenir les exilés, à rétablir l’exercice des libertés individuelles et publiques et à permettre à la population de prendre conscience complète de l’enjeu. J’invite d’avance les informateurs du monde entier à assister, sans entraves, à cet aboutissement décisif.

Mais le destin politique, qu’Algériennes et Algériens auront à choisir dans la paix, quel peut-il être ? Chacun sait que, théoriquement, il est possible d’en imaginer trois. Comme l’intérêt de tout le monde, et d’abord celui de la France, est que l’affaire soit tranchée sans aucune ambiguïté, les trois solutions concevables feront l’objet de la consultation.

Ou bien : la sécession, où certains croient trouver l’indépendance. La France quitterait alors les Algériens qui exprimeraient la volonté, de se séparer d’elle. Ceux-ci organiseraient, sans elle, le territoire où ils vivent, les ressources dont ils peuvent disposer, le gouvernement
qu’ils souhaitent. Je suis, pour ma part, convaincu qu’un tel aboutissement serait invraisemblable et désastreux. L’Algérie étant actuellement ce qu’elle est, et le monde ce que nous savons, la sécession entraînerait une misère épouvantable, un affreux chaos politique, l’égorgement généralisé et, bientôt, la dictature belliqueuse des communistes. Mais il faut que ce démon soit exorcisé et qu’il le soit par les Algériens. Car, s’il devait apparaître, par extraordinaire malheur, que telle est bien leur volonté, la France cesserait, à coup sur, de consacrer tant de valeurs et de milliards à servir une cause sans espérance. Il va de soi que, dans cette hypothèse, ceux des Algériens de toutes origines qui voudraient rester Français le resteraient de toute façon et que la France réaliserait, si cela était nécessaire, leur
regroupement et leur établissement. D’autre part, toutes dispositions seraient prises, pour que l’exploitation, l’acheminement, l’embarquement du pétrole saharien, qui sont l’oeuvre de la France et intéressent tout l’Occident, soient assurés quoi qu’il arrive.

Ou bien : la francisation complète, telle qu’elle est impliquée dans l’égalité des droits ; les Algériens pouvant accéder à toutes les fonctions politiques, administratives et judiciaires de l’État et entrer dans tous les services publics, bénéficiant, en matière de traitements, de salaires, de sécurité sociale, d’instruction, de formation professionnelle, de toutes les dispositions prévues pour la métropole ; résidant et travaillant où bon leur semble sur toute l’étendue du territoire de la République ; bref, vivant à tous les égards, quelles que soient leur religion et leur communauté, en moyenne sur le même pied et au même niveau que les autres citoyens et devenant partie intégrante du peuple français, qui s’étendrait, dès lors, effectivement, de Dunkerque à Tamanrasset.

Ou bien : le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec elle, pour l’économie, l’enseignement, la défense, les relations extérieures. Dans ce cas, le régime intérieur de l’Algérie devrait être de type fédéral, afin que les communautés diverses, française, arabes, kabyle, mozabite, etc., qui cohabitent dans le pays, y trouvent des garanties quant à leur vie propre et un cadre pour leur coopération.

Encore une fois, nous sommes frappé pas l’absence des pieds-noirs dans le discours du Général de Gaulle. Il ne parle qu’aux Algériens dans leur ensemble et donc aux musulmans qui constituent l’immense majorité de la population. Il ne s’adresse qu’aux combattants du FLN. Rien pour les Français d’Algérie.

Ensuite, il propose trois solutions.

Trois solutions qui sont classées dans un ordre assez étonnant.

Traditionnellement, en psychologie, on considère qu’il existe deux effets dans le discours : l’effet de récence et l’effet de primauté. Ce sont les deux éléments que l’on retient dans le discours. La recense, concerne ce qui est dit en dernier et la primauté ce qui a été dit en dernier. En gros, on retient mieux ce qui est dit en premier et en dernier.

Le Général de Gaulle propose en premier l’indépendance totale, en dernier l’indépendance avec maintien d’un lien avec la France.

Au milieu, nous avons le maintien de l’Algérie dans la France.

  • 1ere proposition : indépendance totale (effet de primauté).
  • 2e proposition : Algérie française.
  • 3e proposition : indépendance avec maintien des liens avec la France (effet de récence).

Par le choix de la position en premier et en dernier des deux modalités de l’indépendance, on comprend que c’est ce que le Général préfère. D’autant que c’est curieux de mettre entre les deux options de l’indépendance, entre le choix d’une Algérie française.

Il aurait été plus logique de parler du maintien de l’Algérie française en premier et ensuite des deux modalités de l’indépendance.

Cette curiosité montre clairement que c’est un choix volontaire et que de Gaulle voulait influencer le choix des Algériens. Il dit qu’il ne souhaite pas la mise en œuvre de la première modalité, c’est-à-dire l’indépendance totale, car elle serait catastrophique. Il est permis d’en douter.

Ce choix inconscient et subliminal est évoqué beaucoup plus clairement lors du discours du 4 novembre 1960.

Eh bien, oui : nous vivons, comme on dit, de notre temps. Et ce temps, pour être chargé de promesses, n’en est pas moins dur et dangereux, tandis que le progrès de la science et de la technique ouvre au développement de notre pays des horizons dont les limites reculent tous les jours. La France se trouve menacée par les totalitaires et confrontée avec les graves problèmes qui lui sont posés en Afrique car les mêmes conditions, qui nous pressent de nous rénover, ont déclenché dans le monde entier une immense évolution. Etant une puissance mondiale, la France se trouve mise en cause par ce vaste mouvement, comme un phare avancé et battu par la marée, devant la passion d’affranchissement et de progrès, qui s’est emparé des peuples jusqu’alors en retard sur la civilisation moderne.

Le génie libérateur de la France l’a conduit à émanciper des populations qui jusqu’alors dépendaient d’elle. Cela était fait d’abord pour les deux anciens Etats de la Tunisie et du Maroc placés sous notre protectorat mais dotés eux d’institutions séculaires et légitimes. Il est vrai que, en ce qui les concerne, le résultat n’a été atteint à cette époque qu’à travers des péripéties fâcheusement mouvementées mais, enfin d’accord avec nous, les deux Etats ont recouvré leur souveraineté entière.

Nous souhaitons qu’ils en usent pour le bien de leur peuple. Nous espérons qu’ils s’en serviront pour pratiquer avec la France une coopération qui semble, de par la nature des choses, être indispensable à leur développement mais désormais, à nos yeux, leurs affaires sont leurs affaires. Cette année même, treize républiques africaines et la république malgache provenant de l’Union française ont, à leur tour – et avec notre concours – accédé à la souveraineté internationale, tout en pratiquant avec nous une coopération très féconde et très amicale. C’est là l’aboutissement d’une transformation que nous avons aidée de tout notre coeur, qui n’a comporté ni combat ni attentat et qui nous a permis de transférer les compétences à des pouvoirs régulièrement issus du suffrage universel.

Reste à régler l’affaire algérienne, pendante depuis 130 ans. A toute époque, il faut en convenir, nos pouvoirs publics ont été, ce sont, dans l’ordre politique tenus à l’immobilisme. D’autant plus que deux communautés profondément différentes cohabitaient en Algérie, que le caractère, la religion et aussi la misère de la masse nous la rendaient difficilement pénétrable, que des intérêts et des craintes ont fait barrage à l’évolution, que ce pays n’a jamais été ni une Nation ni un Etat et qu’il manquait de cadres autochtones.

Bref, nous avons fait certes beaucoup en Algérie, pour l’Algérie, mais nous n’avions pas fait à temps des choses qu’il aurait fallu faire si bien que le bouillonnement a fait un jour sauter le couvercle. Depuis, le sang qui a coulé des deux côtés complique cruellement les choses et pourtant, qui sait si finalement ce sang ne fera pas avancer dans les esprits et dans les coeurs la raison et la justice. Il est vrai que le magnifique effort de pacification mené par l’armée et par l’administration, et qui se combine avec les effets de la promotion musulmane et avec ceux du plan de Constantine, ramène progressivement la sécurité sur l’ensemble du territoire algérien.

Au commencement de l’année 1958, les insurgés tuaient, par combats ou attentats, en moyenne 40 personnes chaque jour, civils et militaires, musulmans et européens. Au cours des dernières semaines, ils en ont tué en moyenne huit par jour et, en même temps, les pertes des insurgés diminuent à mesure que l’insurrection est réduite. On voit que ce nombre de victimes, pour douloureux qu’il soit encore, ne justifie pas du tout l’impression de guerre acharnée que cherchent à répandre au-dehors la propagande des insurgés et, chez nous, des clans à parti pris et des feuilles à sensation. On peut même envisager le jour où nous déciderions d’interrompre l’emploi des armes – sauf les cas de légitime défense – mais cette amélioration, pour constante qu’elle soit, ne résout évidemment pas le problème fondamental.

Ayant repris la tête de la France, j’ai – on le sait – décidé en son nom de suivre un chemin nouveau. Ce chemin conduit non plus au gouvernement de l’Algérie par la métropole française mais à l’Algérie algérienne. Cela veut dire une Algérie émancipée où c’est aux Algériens qu’il appartient de décider de leur destin, où les responsabilités algériennes seront aux mains des Algériens et où – comme, d’ailleurs, je crois que c’est le cas – l’Algérie, si elle le veut, pourra avoir son gouvernement, ses institutions et ses lois. L’Algérie de demain, telle qu’elle sera décidée par l’autodétermination peut être faite ou bien avec la France ou bien contre la France, et celle-ci – je le déclare une fois de plus – ne fera opposition, aucune opposition, à la solution quelle qu’elle soit qui sortira des urnes.

Si cela devrait être la rupture hostile, eh bien, nous ne nous acharnerions certainement pas à vouloir rester auprès de gens qui nous rejetteraient ni à engouffrer dans une entreprise sans issue et sans espoir nos efforts et nos milliards dont l’emploi est tout trouvé ailleurs. Nous laisserions à elle-même l’Algérie, tout en prenant, bien entendu, les mesures voulues pour sauvegarder ceux des Algériens qui voudraient rester Français et, d’autre part, nos intérêts.

Mais si, au contraire, comme je le crois de tout mon coeur et de toute ma raison, il s’agissait d’une Algérie où les deux communautés, musulmane et française de souche, coopèreraient avec les garanties voulues et une Algérie qui choisirait, comme c’est le bon sens, d’être unie à la France pour l’économie, la technique, les écoles, la défense, alors nous fournirions à son développement matériel et humain l’aide puissante et fraternelle que nous seuls pouvons lui donner. Car si l’oeuvre de la France vis-à-vis de l’Algérie doit changer de nature et de forme, elle demeure indispensable pour le progrès humain.

ici ce qui frappe, c’est la disparition de la deuxième proposition, celle du milieu dont je vous expliquais que de par sa position, elle ne faisait pas partie du choix de l’homme du 18 juin.

Finis la promotion d’une France “allant de Dunkerque à Tamanraset“.

Pourtant la formule était belle. C’est un homme très habille dans le maniement de la langue française, trouvant toujours la formule qui frappe les esprits.

Restes en lice, la première et la dernière, celles qui étaient mises en avant par le principe de récence et de primauté.

L’indépendance sèche d’un côté, l’indépendance avec maintien des liens avec la France, de l’autre.

Notons que pour la première fois, il parle des Français de souche vivant en Algérie, mais pour leurs dirent qu’ils les aidera à quitter l’Algérie.

Finalement cela débouchera sur les accords de cessez-le-feu du 18 mars 1962 et sur le référendum d’indépendance du 8 avril 1962.

Ce que j’ai voulu montrer à travers ce long développement et ses longues citations dans le texte du général de Gaulle, c’est que dès le début, il savait qu’il donnerait l’indépendance à l’Algérie. Il veut faire accepter aux Français cette idée. Pour cela, il utilisera la technique du “coup-sous-la-ceinture“.

Il commence par proposer le maintien de l’Algérie française (première proposition).

Une fois cette première proposition acceptée, acté par son retour au pouvoir et l’instauration d’une nouvelle république, il va indiquer que cette première proposition est impossible par l’obstination du FLN à refuser de faire une paix des braves.

Enfin, il propose le choix de l’indépendance (proposition finale). Il proposera ce choix que de manières progressives avec des sous-entendus, pour ne pas heurter les Français vivant en Algérie.

C’est la mise en œuvre du “coup-sous-la-ceinture” en politique.

J’aurais pu également parler de la même trahison de François Mitterrand entre 1981 et 1983 qui cacha sa volonté de mettre en œuvre une politique favorable aux grandes entreprises en laissant croire qu’il allait mener une politique favorable au prolétariat. Le voile du mensonge fut déchiré en 1983 avec le tournant de la rigueur. Mes développement sur le mensonge algérien du Général de Gaulle ont été trop long et m’ont contraint a supprimer cette partie qui aurait sans doute été très enrichissante pour certains de mes lecteurs.

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